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Jamais je ne me perdrai sauf pour un je-ne-sais-quoi qui s’atteint d’aventure



Soulages le réfractaire

La Cause freudienne 2010/2 N° 75

Pierre Encrevé, Nathalie Georges-Lambrichs, Jacques-Alain Miller, Pascale Fari

 

Jamais je ne me perdrai sauf…

PS : Avec « harmonie » on rentre dans des esthétiques qui ne sont pas le miennes p138

PS : Jamais je ne me perdrai sauf pour un je-ne-sais-quoi qui s’atteint d’aventure p139


Le bison d’Altamira

PS : Je me disais « L’illusion, ce serait la réalité ? Ce serait mieux, beaucoup mieux, la recherche de l’illusion, celle de la profondeur et de la forme  »… Ce qui m’intéresse, c’est ce que je ne connais pas. Quand je commence à travailler, je suis attentif à ce que je ne sais pas – si je fais ce que je sais alors je répète -et aussi la manière aléatoire dont les choses arrivent. Je me suis rendu compte très jeune de la frontière extrêmement floue qu’il y a entre le déterminé et l’aléatoire. C’est comme cela que je me suis mis à réfléchir à la peinture, en peignant p140


L’instabilité lumineuse

JAM : Votre art est un art sans projet et ouvert à l’accident

PS : Une fois que l’on voit ce qu’on fait, on s’aperçoit qu’il y a bien quand même quelque chose qui n’est pas complètement désorganisé, si bien qu’on pourrait dire qu’il y a eu projet, mais après coup… Une organisation qui se fait et se défait, qui apparait sans cesse organisée différemment… J’aime fréquenter ces choses-là, car elles ouvrent continuellement sur des émotions, des pensées, des réactions différentes p141

JAM : La force, c’est une valeur pour vous ?

PS : La force, oui. Ce déclenchement d’une dynamique de l’imaginaire, de la sensibilité et de la pensée qui s’empare de nous p142

Tropismes

PS : Les arbres… les branches se dirigent là où il faut pour avoir de la lumière

JAM : Pour plus d’intensité, vous vous êtes dépouillé vous-même, comme l’arbre de ses feuilles, de beaucoup de tentations qu’on offre à l’œil

PS : Vous en parlez comme d’un rejet mais pour moi, c’est le contraire : c’est l’élection de certains choses, à tel point que les autres ne comptent plus p146

PS : Tout le monde ne regarde pas le tableau de la même façon. Pour chacun, le champ mental que cela atteint, les sens que cela développe sont différents p147

Sans mots et sans images

JAM : Par rapport à l’intensité que vous trouvez dans la présence de l’œuvre, le langage vous paraît pauvre… un élément d’illusion, de tromperie, de pauvreté dans le langage , dans la signification par rapport à la densité, à la profondeur et à la multiplicité (PS). En fait vous placez votre œuvre hors langage

PS : On peut dire cela parce que, quand on parle, on la limite, on l’appauvrit

PF : Comme si les mots étaient toujours un enfermement

PS : Oui, une limitation. D’ailleurs, souvent on est obligé d’en mettre trois ou quatre à la fois… La vérité fuit comme l’eau entre les doigts – qui sont les mots


En noir

JAM : Il a de la chance lui, il ressemble à sa peinture p148


L’espoir d’en vivre

PS : J’espérai vivre de ma peinture et je n’avais surtout pas envie de faire de la peinture pour vivre P149


Une scansion majeure

PS : Outrenoir, c’est un mot que j’ai inventé pour une raison précise : parce que noir et lumière, ce sont des définitions optiques… Ce n’est pas optique ce que je fais. Cela passe par les yeux comme tout le reste, mais cela correspond à quelque chose qui va beaucoup plus loin que l’optique. J’utilise une expression que j’ai trouvée, je ne sais pas où ni comment qui est champ mental p154


La lumière : contraste et réflexion

JA Miller : Cette peinture qui vise ou qui produit de la présence, est environnée d’absence : l’absence de couleur et l’absence de mot, l’absence de titre, l’absence de signification, l’absence de sens

PS : Le refus

JAM : Pour intensifier la présence, il faut annuler complètement et l’univers des couleurs, et l’univers du discours

PS : l’univers de la communication p155


Absens

PS : Les gens pleurent parce qu’ils se retrouvent face à eux-mêmes ?

JAM : C’est un appareil à renvoyer chacun à sa solitude

PS : Ce n’est pas un miroir !

JAM : Au contraire, le miroir vous donne la compagnie de vous-même tandis que là, cela renvoie chacun à sa propre absence, peut-être, ou au poids de sa présence contingente sur le monde… Les images vous projettent des choses (comme les tests de Rorschach)… Mais au fur et à mesure que vous avancez, que vous créez on dirait que cela se bouche. On a maintenant une présence pleine et entière qui s’affirme. Déjà avant cela ne renvoyait à rien mais on pouvait jouait à ce que cela renvoie, tandis que là on est renvoyé à son propre désastre… Pour vous c’est quelque chose qui vit p157


Quelque chose qui vit

JAM : C’est particulier à vous, comme spectateur de votre peinture de ressentir qu’elle vit

PS : Oui cad qu’elle n’est pas rien pur celui qui la regarde p157

PE : Sur la toile tu as deux noirs, un noir mat et un noir brillant

PS : Oui, un noir qui réfléchit et un noir qui absorbe : la lumière et son absence…

PE : celle-là est plus statique et celle-ci plus dynamique

PS : cela fonctionne, cela marche. Et cela s’inverse avec le point de vue ou le changement de lumièrep158


Implacable ?

JAM : Vous dites que c’était cet élément-là, l’élément implacable et irréversible de l’évènement

PS : quand on regarde une peinture qui renvoie à quelque chose de précis comme une scène telle une descente de croix

JAM : Il y a quelque chose chez vous dans la mesure où vous ressemblez à votre peinture que je trouve implacable

PS : Sans pitié… mais il y a un élément affectif là-dedans : qui ne peut s’apaiser, ni s’infléchir, irréfutable

JAM : Vous soustrayez à l’être humain toutes ses illusions, y compris ses illusions d’optique. Vous lui soustrayez tout le discours, tout ce qui permet à tout le monde de vivre… Après ce que vous avez produit laisse le spectateur absolument démuni… Une peinture vue par PS comme humanisation du monde versus un peintre vu comme un déshumanisateur

PS : Il y a tout de même quelque chose de pacifiant qui est donné à voir

PE : La toile n’est pas un calme bloc chu d’un désastre obscur, c’est le travail d’un homme offert à d’autres hommes p159

JAM : Peut-être que les gens pleurent parce que vous leurs volez leur humanité ? Comme producteur, vous êtes pleinement artiste, et le spectateur, est, lui, par votre opération, peut-être dépouillé de tout… Depuis la tache de goudron jusqu’à l’outrenoir il y a chez vous un ne pas varier/ne pas lâcher…. Vous vous imposez comme ça. Le noir ce n’est pas encore suffisant, il faut encore forcer le noir un peu plus loin, jusqu’à une sorte d’aspiration


Une éthique de la peinture

JAM : … votre peinture, c’est un peu l’éthique de la peinture. Si l’on vous prend comme référence, tous les autres peintres apparaissent avoir fait des concessions

PE : On ressent tous une singularité dans ce que tu as fait p160

JAM : Si l’on peut intéresser et captiver le monde avec des noirs, tout ce que les autres ajoutent apparaît inessentiel… votre production constitue en elle-même une critique de l’ensemble de l’histoire de la peinture… Votre peinture se prive pour intensifier l’élément de présence, elle se prive énormément de ce qui a été exploité dans l’histoire de la peinture


Le propre du noir

JAM : Vous avez inventé un noir

PS : Ce n’est plus un noir

JAM : Vous avez inventé quelque chose qui part du noir

 

PS : Oui, quelque chose qui existait déjà, depuis toujours… Rendez-vous compte de la phénoménale quantité de variations qu’il peut y avoir dans la lumière réfléchie par le noir… Qui a-t-il de plus vaste les différentes couleurs de la lumière ?

JAM : N’est-ce pas un peu sophiste de dire que là toutes couleurs sont présentes ?

PS : Si vous dites cela, c’est que vous avez le noir dans la tête, pas devant les yeux !

PE : C’est pour cela que j’ai parlé de peinture monopigmentaire à polyvalence chromatique p162

PS : Je m‘intéresse à la lumière et surtout à cette chose troublante : la lumière qui vient de la couleur qui est, par définition et même en réalité, la plus grande absence de lumière de toutes les couleurs qui existent : le noir… Ce qui l’importe, c’est comment cela s’organise, et comment cela change, et nous avec.


Pas le deuil

PS : Le noir, c’est ce qu’on veut… Ainsi c’est l’inverse du deuil, c’est la vie… J’aime quand il n’y a pas de chemin. C’est quand il n’y a plus de chemin que commence le chemin.


L’Autre de Pierre Soulages

JAM : Votre dialogue est avec la matière. Votre Autre, c’est la matière.

PS : Matière, qu’il faut appeler lumière, qu’il faut appeler…

JAM : Matérialité ?

PS : Matérialité, c’est quelque chose de très complexe, qui peut être la transparence, l’opacité, la matité, le brillant qui peut être tout ce qui passe sur l’état de surface… La vraie matière, c’est la lumière. Le pot, c’est le pot, et à partir de là, c’est la lumière

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